San Marco

Avant-propos : cet article inaugure une nouvelle rubrique dans la section jeux de société. Pour en savoir plus sur les distinctions entre les différentes catégories d’articles, suivez ce lien.


Fiche technique
Auteurs : Alan R. Moon et Aaron Weissblum
Éditeur : Ravensburger
Illustratrice : Alessandra Cimatoribus
Année de parution : 2001
Nombre de joueurs : 3 ou 4
Type de jeu : Tactique / Placement et majorités
Public : pour amateurs ou famille de joueurs

Présentation

Le matériel avant la mise en place.

San Marco est un parfait représentant de l’école allemande et de son temps.
Nous sommes en 2001, en plein coeur de ce qu’il est convenu d’appeler l’Âge d’Or du jeu de société, trois ans avant que Alan R. Moon ne crée son célèbre et indétrônable Les aventuriers du rail. Alan Moon a déjà rencontré le succès avec Elfenland et Aaron Weissblum a sorti Cloud 9 (qui connaît de nos jours une belle réussite sous le nom Celestia). Ces deux-là vont faire une série de jeux à quatre mains, dont celui qui nous intéresse ici.

La règle du jeu. On est bien en 2001.

San Marco s’inspire très nettement du jeu El Grande, un grand classique de l’époque, dont il reprend globalement le système : les joueurs doivent jouer des cartes pour effectuer des actions, comme ajouter ou retirer des cubes dans les zones du plateau (ici ce sont des quartiers de Venise, séparés par des canaux), et déplacer un gros pion unique dans une zone pour y déclencher un décompte de majorité.


Le vénérable classique de Wolfgang Kramer et Richard Ulrich qui – s’il n’en invente pas le concept en 1995 – posera les fondations du jeu de majorités pour les nombreuses années à venir.


Une synergie

Dans San Marco il y a cinq types de cartes Action, chacune très simple, réparties plus ou moins rarement dans la grosse pioche du jeu.

  • Les cartes Quartier représentent chacune un quartier de Venise. Jouer une de ces cartes permet au joueur qui en dispose d’ajouter un cube à sa couleur dans le quartier correspondant, ou dans un quartier directement voisin à condition que ces deux quartiers soient reliés par un pont appartenant à ce joueur.
  • Une carte Pont permet au joueur qui en dispose de placer un pont où il le souhaite entre deux quartiers. Il place dessus un cube de sa couleur pour indiquer que ce pont lui appartient.
  • Une carte Doge permet au joueur qui en dispose de déplacer le gros pion rouge commun représentant le doge de Venise. Ce pion peut se déplacer sur tout le plateau d’autant de quartiers que le joueur le désire (y compris rester sur place) tant qu’il existe des ponts pour passer d’un quartier à un autre. Chaque fois que le doge emprunte un pont adverse, le joueur actif donne un point de victoire au propriétaire du pont.
    Un décompte de majorité a lieu dans le quartier où le doge termine son déplacement. Le joueur qui y a le plus de cubes remporte le nombre maximum de points, le second majoritaire en reçoit légèrement moins, et les joueurs suivants ne remportent rien.
  • Les cartes Exil sont rares et potentiellement dévastatrices, quoique sujettes à beaucoup de hasard. Le joueur qui en dispose peut décider d’éliminer plusieurs cubes d’un quartier. Il choisit d’abord un quartier puis jette un dé numéroté de 1 à 6. Le résultat du dé indique combien de cubes – de préférences adverses – le joueur peut retirer.
  • Une carte Traître permet au joueur qui en dispose de remplacer, n’importe où sur le plateau, un cube adverse par un des siens.

Dans l’ordre : trois cartes de quartiers différents, une carte Pont et une carte Doge, une carte Exil et une carte Traître.

On voit bien comment ces cartes interagissent entre elles. Les cartes Doge sont précieuses et convoitées car ce sont elles qui procurent des points de victoire. Encore faut-il avoir joué suffisamment de cartes Quartier, Traître ou Exil pour être majoritaire dans un quartier, et avoir placé judicieusement ses Ponts pour pouvoir y amener le doge sans céder trop de points aux adversaires.
C’est simple, et ça tourne bien. Mais ce n’est pas tout. Le jeu ne se résume pas à ça.

Au beau milieu d’une partie à trois joueurs.


Un mécanisme original

L’obtention des cartes action se fait à chaque tour selon un mécanisme de constitution de lots.
L’explication et l’exemple qui suivent suivent le déroulement d’une partie à 3 joueurs ; à 4 joueurs le système est différent mais le principe est le même.

Le joueur actif est le donneur (dans la figure ci-dessus c’est le joueur jaune), et l’ordre des autres joueurs est tiré au hasard. Le donneur pioche 10 cartes : 6 cartes action (celles décrites plus haut) et 4 cartes pénalités. Il est chargé de constituer 3 lots en répartissant comme il le souhaite les bonnes et mauvaises cartes. Mais attention, c’est d’abord le 1er receveur (ici le joueur blanc) qui choisira son lot. Puis le 2ème receveur (ici le joueur bleu). Le donneur ne prendra que le dernier lot restant. Ce système pousse à constituer des lots équilibrés, ou à tenter les adversaires avec des lots bien dotés mais chargés en pénalités.

Les cartes pénalités, dont chacune a une valeur allant de 1 à 3, s’accumulent tours après tours devant les joueurs. Lorsqu’un joueur dépasse 9 points de pénalité il est exclu de la manche et les joueurs restants font un ultime tour sans lui. Si plusieurs joueurs sont exclus en même temps et qu’il ne reste qu’un joueur en jeu, on n’effectue pas cet ultime tour.
A la fin de chaque manche (une partie en compte 3), les écarts de points de pénalité entre les joueurs qui n’en ont pas plus de 9 et celui qui en a le plus sont convertis en points de victoire.

Ainsi, si contrairement à vous vos adversaires ont déjà atteint un nombre élevé de points de pénalité, il est possible de les dissuader de prendre certains lots. Dans l’exemple illustré ci-dessus, le lot b est probablement le plus intéressant et le joueur jaune veut essayer de se le réserver.
Le joueur blanc sera le premier à choisir un lot, il a déjà cumulé 8 points de pénalité (8 pp) alors le joueur jaune prévoit qu’il prendra le lot a qu’il a spécialement conçu pour lui. S’il prenait n’importe quel autre lot il dépasserait 9 points de pénalité et ses adversaires pourraient potentiellement jouer un ultime tour sans lui. Si tout se passe comme prévu, le joueur bleu ne se résoudra pas à prendre le lot b, pour la même raison.
Évidemment rien n’empêche les adversaires de s’entendre et décider ensemble de dépasser tous les deux les 9 points de pénalités fatidiques (blanc prend c et bleu prend b, pour atteindre tous les deux 10 pp). Le joueur jaune héritera donc automatiquement du lot a, finira la manche avec 6 pp et empochera donc 4 points de victoire. Ce qui n’est pas si mal. Tout dépendra du score de chacun, mais surtout de l’intérêt des lots préparés.
Il faut donc a priori faire attention à bien équilibrer les lots.


Un dernier mot pour l’illustratrice

Le chat de l’illustratrice ?

Je trouve les illustrations du jeu très agréables (la boîte, le plateau et les cartes). Oui c’est un peu bête de dire ça comme ça mais c’est souvent un critère important pour les joueurs. En 2001 le standard esthétique était bien inférieur à ce qu’on trouve dans la boîte de San Marco.



Alessandra Cimatoribus est une illustratrice italienne qui travaille dans l’édition du livre. Elle n’a quasiment illustré aucun autre jeu de socitété, à part en 1999 la première édition de Torres du fameux duo Wolfgang Kramer et Michael Kiesling.


San Marco est un jeu intéressant qui propose différentes manières de marquer des points : obtenir des majorités, établir un bon réseau de ponts, provoquer de gros écarts de points de pénalité. A la toute fin du jeu les majorités de tous les quartiers sont décomptées, les scores peuvent basculer jusqu’au dernier moment. De ce point de vue le jeu combine – je serai tenté de dire : comme tous les bons jeux – un objectif à long terme et des opportunités tactiques au coup par coup. Si le système de jeu est plutôt simple, San Marco se distingue par un mécanisme de constitution des lots original (il sera repris de façon très similaire par Cédric Lefebvre en 2011 dans son jeu Shitenno) qui peut parfois tourner au casse-tête. Pourtant je crois que le jeu est jouable avec un enfant de 10 ou 11 ans habitué aux jeux de société, à condition qu’il soit capable de gérer la difficulté des dilemmes demandés et d’accepter la frustration de ne pas recevoir les lots espérés.

Voir aussi :



6 commentaires sur “San Marco

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  1. Sur twitter, une personne qui ne connaissait pas ce « vieux » jeu m’a récemment demandé si je pouvais faire un pitch de San Marco.
    Un pitch ??!
    Teu teu teu ! Laissez-moi plutôt vous expliquer le jeu en long en large et en travers, avec un petit historique et tout…

    Bref, des choses que je ne fais plutôt pas d’habitude dans ma rubrique « Pourquoi c’est bien ».
    Je m’y suis collé, et ça donne l’article ci-dessus.
    Et une nouvelle rubrique aussi, du coup.

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  2. Autre signe du temps, qui nous rappelle que le jeu a été édité il y a 20 ans : le fait qu’il ne soit jouable qu’à 3 ou 4 joueurs.
    Dans le marché actuel, il est impensable pour un éditeur de sortir un jeu qui ne soit pas jouable à 2. À l’époque ça se faisait souvent, le « coeur de cible » était la cellule familiale.

    Dans les années 2000 l’essor du secteur a vu arriver de nouveaux joueurs et de nouvelles pratiques (le jeu en couple), il est devenu de plus en plus dommageable à un jeu de ne pas pouvoir être joué à 2. Les variantes non-officielles étaient monnaie courante, jusqu’à ce que les éditeurs comprennent qu’il fallait systématiquement développer un mode 2 joueurs. Puis penser le jeu à 2 dès la création du jeu.

    Aujourd’hui la plupart des jeux sont pensés dès leur création pour être jouable à 2, mais le même phénomène est observable avec l’émergence du jeu solo.
    Solo is the new couple.

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  3. C’est intéressant. J’adore les couleurs, ça change du brunâtre de l’époque. Ça donne envie de s’installer et de se lancer dans une partie. On regrettera l’absence du quartier de San Depié.
    Mais ces ponts… serait-ce… du plastique ?

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour Lionel,
      Merci d’attirer mon attention sur ce point que je n’ai pas abordé dans cette ludoscopie.
      J’ai procédé à un test de brûlage : au contact d’une flamme, l’absence d’odeur exclut tous les dérivés de vinyle, et une légère fumée noire plaiderait plutôt pour une polymérisation de monomère propylène. Toutefois c’est comme pour les papes, en l’absence de fumée blanche ça n’est pas concluant.
      J’ai donc procédé à un test de solvant et le résultat est formel : c’est du polypropylène.

      Je pense que grâce à vous cet article est dorénavant complet.
      Merci de votre commentaire qui participe grandement à la réputation d’expertise de ce site.

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    1. Bonjour CatPionDe3 🙂
      Comme vous l’apprendrez si vous poursuivez l’usage de ce site, ici on a un rapport au temps très décousu. Une minute n’est rien, une année non plus.

      Quant à votre doute, je confirme : il ne se passe pas une journée sans que je ne joue. De la musique, à la console de jeu, sur une table avec des morceaux de carton et des bidules en bois, voire même un peu la comédie pour un public familial restreint.
      Quel joli mot !

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