Play it again, Dupont !

Entre 1978 et 1980, Manchette (encore lui !) a écrit des chroniques de jeux de société dans la revue Métal Hurlant.
Cette année les éditions de la table ronde ont eu la bonne idée de publier deux bouquins sur Manchette : Lettres du mauvais temps et Play it again, Dupont.

Le premier est un recueil de la correspondance de Manchette, sa lecture est agréable et recoupe assez bien la lecture des Chroniques et Chroniques cinéma. En tout cas il m’a été utile et j’en ai extrait une bien chouette citation pour ouvrir mon article sur le roman noir anticapitaliste. Article qui m’a donné bien du boulot (allez le lire !)

Le second recueille toutes les chroniques ludiques parues dans Métal Hurlant.
Je n’ai pas encore eu le plaisir d’avoir le bouquin entre les mains mais le première chronique est trouvable sur internet. Elle m’a beaucoup plu et m’a inspiré, outre le petit photomontage avec le monolithe de 2001, les quelques commentaires que vous vous apprêtez à lire.

La situation des jeux en France est misérable. Nous pourrions le démontrer par des statistiques (80 % des jeux de société achetés en France se répartissent entre seulement huit jeux différents). Nous préférons le démontrer d’une manière plus lugubre: en examinant le catalogue automne-hiver 78-79 de la Redoute de Roubaix.
Ce catalogue veut manifestement offrir à l’achat par correspondance tout ce qui est nécessaire à la vie. Et, sur 931 pages, il ne propose que quatre pages de jeux. A peine autant d’espace que pour les accessoires pour chiottes, trois fois moins que pour les gaines amincissantes…

Le cas Mastermind

Avec la prose qu’on lui connait et dont vous pouvez lire ci-dessus un exemple réjouissant, Manchette se paye Risk, La bonne paye, L’Autoroute, et Touché Coulé Computer.

« L’adjonction d’un dispositif électrique le rend particulièrement indiqué pour les insomniaques muets. D’une part, en effet, les adversaires n’ont plus besoin de se parler, il leur suffit d’enfoncer des fiches. D’autre part la machine imite le sifflement des projectiles et, en cas de coup au but, le fracas des explosions (font défaut cependant les cris horribles des chauffeurs ébouillantés). »

Que des jeux que j’avais… que j’ai bien aimé dans mon enfance.
Mais surtout, il se paye le Mastermind. Vous savez ce jeu de déduction génial qui a inspiré Thierry Beccaro ?
Sauf que non. Manchette avait une sacrée culture ludique, et qui ne datait pas d’hier (l’avantage d’être né en 1942), donc dans cette chronique il nous apprend que le Mastermind n’est « qu’un zanzibar appauvri et plastifié ». Et quand il explique le zanzibar hé bien nous autres enfants de la télé on reconnaît trait pour trait la description des règles de Motus. Tout à fait, Thierry !

« Et tout ça est en plastique gai, et se vend bien depuis qu’il y a sur la boîte la photo d’un cadre supérieur bien vêtu avec une gueule de crétin, et que ça s’appelle MASTERMIND LE CERVEAU, tandis que personne n’en voulait quand ça s’appelait LE PLUS MALIN, il y a quelques années. »

La position du sniper

Si dans la liste je retiens particulièrement le Mastermind, c’est que Manchette semble de son côté avoir particulièrement retenu son cadre supérieur bien vêtu avec sa gueule de crétin.

Dans son roman La position du tireur couché (1981), il semble même avoir servi de prototype à Félix, un des personnages.
Martin Terrier, fils de prolétaire, revient dans la région de son enfance avec l’intention de reprendre, là où elle s’était arrêtée, sa relation amoureuse avortée lamentablement dix ans auparavant avec une bourgeoise dont il s’était entiché. La bourgeoise en question s’est mariée et les retrouvailles donnent lieu à une ou deux scènes de mondanités qui disent la distinction de Bourdieu mieux que Bourdieu lui-même.

Tu as vu le dernier Altman ?
— Quoi ? fit Terrier.
— Le dernier Altman. Robert Altman.
— C’est un cinéaste, expliqua Anne. […]
— Et qu’est-ce que tu penses de la position de Régis Debray sur les médias et les intellectuels ? demanda Félix en observant Terrier avec méchanceté. […] Et qu’est-ce que tu penses du nouveau polar français ? Et est-ce que tu penses que le jazz peut encore progresser ? […]
— Je ne sais pas, dit-il.
— Arrête tes conneries, Félix, murmura distraitement Anne.

Jean-Patrick Manchette. La position du tireur couché, 1981 (Folio Policier)

Soyez rassurés, le sale type ne tardera pas à perdre la vie ainsi que toute forme de dignité. Mais avant ça il aura le temps de réclamer avec un peu d’insistance une partie de Mastermind.

« — Je nous fais du café ? proposa Félix. J’ai un percolateur italien qui fait un café terrible. Tu sais jouer au Mastermind ?
[…]
— Tu veux pas de mon café ? Tu veux un alcool ? Tu veux pas jouer au Mastermind avec moi ? Plutôt samedi, peut-être ?
— Plutôt, murmura Terrier. »

Etait-ce cette histoire de cadre supérieur bien sapé sur la couverture du jeu ?
Ou bien le côté duel de cerveau ?
Quoi qu’il en soit, difficile de ne pas penser à la chronique ludique de Manchette en tombant sur le Mastermind dans le roman. Surtout quand on sait la manie qu’avait Manchette d’exposer ses idées dans ses livres.
De toute façon, c’est sûrement un peu des deux.

Afin d’anéantir tout début de doute sur la question, je vous laisse avec la conclusion de Manchette à cette chronique des jeux de la Redoute…

Voilà pour les jeux proposés à l’achat par la Redoute. C’est misérable. La situation des jeux en France est misérable. Mais moins que l’an dernier. Les cadres français, anxieux de paraitre intelligents, jouent de plus en plus. Michel Rocard s’est fait photographier devant un jeux de Go. Séchez vos larmes, le bout du tunnel est au coin de la rue. Je descends acheter de l’aspirine, je remonte le mois prochain et on cause de tout ça sans s’énerver.

Général Baron Staff (Métal Hurlant n°34, octobre 1978)

Voir aussi :

3 commentaires sur “Play it again, Dupont !

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  1. Je n’ai pas de photo de Michel Rocard devant un jeu de Go, mais je l’ai devant un jeu d’échecs : https://www.apprendre-les-echecs-24h.com/wp-content/uploads/2020/01/rocard-1.jpg

    En mode « Alors elle est pas belle ma défense néo-aléoutienne ? Ca t’en bouche un coin pas vrai ? Hé oui marmot c’est moi Mimiche le 1er ministre et j’invente des noms de défense si je veux, et des noms d’ouverture si je veux aussi. Maintenant tu baisses les yeux et tu joues, et fissa parce que dans 10 min j’ai crapette avec Mitterrand. »

    Aimé par 1 personne

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