Hanabi

Hanabi est un jeu d’Antoine Bauza, un auteur français connu surtout pour un autre jeu qui pourtant est moins bien et par exemple pas du tout pour Azul qui d’ailleurs n’est pas de lui.
Quoi qu’il en soit en 2010 sort le double jeu de cartes Hanabi & Ikebana chez l’éditeur les XII Singes. Hanabi, jeu coopératif pour 2 à 5 joueurs, se distingue par des mécanismes tellement originaux et astucieux qu’il connaîtra par la suite un paquet d’éditions différentes dans un tas de pays, raflant au passage une récompense prestigieuse et une ribambelle de nominations dont je ne ferai pas ici la liste car ce n’est pas l’objet de cet article.

à droite l’actuelle édition française éditée par Cocktail Games

Ce que j’ai plutôt envie de vous dire, c’est pourquoi c’est bien.

D’abord parce que c’est un jeu étonnant. En effet à ma connaissance c’est le premier jeu à choisir le thème des feux d’artifice… Non pardon mais ça on* s’en moque un peu. J’aurais pu écrire détonnant, j’ai hésité. Avec deux « n » bien sûr (si vous êtes venus ici pour trouver des jeux de mots vous risquez la déconvenue). Car oui, Hanabi sort du lot. Sa principale originalité consiste dans le fait très simple, mais qui implique beaucoup de choses, que chaque joueur ne voit pas ses propres cartes. Chacun les tient en main tournées vers ses coéquipiers.

Le but du jeu est de réussir à classer collectivement les cartes, par couleur, en piles ordonnées (de 1 à 5). Quand on commence par expliquer que chaque joueur à son tour va devoir se débrouiller pour savoir s’il peut jouer ou pas une des cartes qu’il a en main, mais sans jamais pouvoir les regarder, ça fait toujours son petit effet. Ça pique un peu la curiosité. Et je peux dire qu’après ça les joueurs sont attentifs : yeux et oreilles grandes ouvertes.

Ensuite parce que c’est un précurseur.
L’écueil récurrent des jeux coopératifs, c’est ce qu’on appelle le joueur alpha : celui qui lit tellement bien la situation qu’il dicte à chacun de ses partenaires les actions à réaliser. C’est bien de discuter, d’échanger, de réfléchir collectivement. C’est la raison d’être du coopératif. Mais les jeux sujets à ce défaut peuvent, en présence d’un joueur alpha, se transformer en jeux solo et les copains en spectateurs.

Hanabi a ouvert la voie à une série de jeux de cartes coopératifs qui échappent à ce problème en adoptant un principe qui change vraiment tout : chaque joueur est limité sur ce qu’il a le droit de révéler aux autres joueurs, ainsi chacun n’a qu’une information partielle des cartes en jeu. La discussion collective est entravée et la clef de la victoire tient moins de l’optimisation brute, tactique et calculatoire, mais plutôt d’une communication réussie déjouant les contraintes du jeu.

Les auteurs de The Game, puis The Mind et récemment The Crew, trois grands succès commerciaux, ont tous compris qu’information partielle et contrainte de communication sont The Truc pour faire parfaitement fonctionner un jeu de cartes coopératif.

Avouez que ça aurait été un coup de génie marketing !

Enfin parce que Hanabi est un jeu de déduction subtil et stimulant. J’ai toujours aimé les jeux de déduction. Le Super Mastermind de mon enfance, vous voyez ? Hanabi met en oeuvre ce genre de déduction au moyen d’un système d’indices que les joueurs peuvent se donner entre eux. C’est la seule communication autorisée dans le jeu.
On ne peut s’adresser qu’à un joueur à la fois et ne lui donner qu’une seule information sur son jeu : soit lui indiquer dans son jeu toutes les cartes d’une même valeur, soit toutes les cartes d’une même couleur.
A sa charge de se rappeler et de recouper les différentes informations reçues, de comparer avec les cartes qu’il voit dans la main de ses coéquipiers, et d’en déduire ce qu’il est censé en déduire.

deux exemples d’informations valides

Le jeu Tricoda (ou Code 777), qui n’est pas coopératif, est à ma connaissance le premier jeu alliant une mécanique de déduction et ce système où chaque joueur ne voit que le jeu des autres. J’ai demandé à Antoine Bauza si ça avait été une source d’inspiration ; il m’a dit non.

Hélas – ou heureusement pour l’intérêt du jeu – les indices sont en nombre limité. On sera donc tenté de faire l’impasse sur certains indices dans le but d’en économiser. Entre alors en jeu une déduction d’un autre type. Beaucoup plus profonde. Une déduction en creux, si vous voulez, qui repose sur les non-dits, sur les réactions intelligibles des joueurs. Une méta-déduction.
C’est là, véritablement, ce que je trouve passionnant dans ce jeu. Savoir interpréter, selon l’humeur de la partie de façon purement logique ou scrutant l’attitude et la tension des joueurs autour de la table, ce que peuvent induire les informations qu’on reçoit, mais aussi celles qu’on ne reçoit pas, et surtout pourquoi on ne les reçoit pas.

Jean-François quand il joue à Hanabi

Pour toutes ces raisons et pour d’autres peut-être encore, Hanabi est un jeu extraordinaire. Il peut être difficile, silencieux et plein de tension car il pousse loin les principes d’information partielle et de communication restreinte, mais c’est un jeu qui s’apprend petit à petit. Et avant d’en maîtriser tous les rouages logiques qui peuvent sembler impressionnants, il n’est pas interdit de passer de bons moments détendus entre potes en n’y jouant pas trop strictement.

Voir aussi :

13 commentaires sur “Hanabi

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  1. Hanabi ça fait des années que je n’y ai pas joué, contrairement à l’autre jeu d’Antoine Bauza.
    Non, pas celui avec les pandas kawaï, l’autre là…

    Mais par contre pour revenir à Hanabi, je me rappelle ma stupeur et mon émerveillement face à l’astuce de sa mécanique.
    Y’a des fois comme ça, où tu te dis « Wahou, mais quelle idée brillante ».
    Pas forcément le jeu que tu préfères ou que tu sors systématiquement, mais un effet wahou quand même.

    Merci pour ce billet 😉

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour Bast,
      De rien, et merci à vous pour ce commentaire.

      Pour l’effet wahou vous avez bien raison, la découverte de la mécanique astucieuse d’Hanabi le provoque inéluctablement.
      Mais ce n’est rien comparé aux nombreux moments de satisfaction quasi épiphaniques que l’on ressent quand on commence à bien jouer, en enchaînant plusieurs parties avec les mêmes partenaires.
      Des moments de déduction en trois bandes particulièrement réjouissants.

      Le hasard (existe-t-il ?) veut que nous avons fait découvrir Hanabi et enchaîné quelques parties le week-end suivant la publication de cet article.
      J’étais de loin celui qui connaissait le mieux le jeu. Et pourtant je me suis encore fait cueillir : combien de fois me suis-je exclamé « mais quel jeu ! mais quel jeu ! »

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  2. « il n’est pas interdit de passer de bons moments détendus entre potes en n’y jouant pas trop strictement. »
    Votre article a été signalé à l’organe de répression de la pratique frivole d’Hanabi, pour incitation à la désinvolture et au sacrilège envers une œuvre inscrite au patrimoine de l’UNBGO.

    Veuillez ne pas quitter le territoire français dans les quatorze (14) jours à venir.
    Nous comptons, dans cette affaire, sur votre entière coopération.

    Bien à vous.
    P. Berry, directeur de la police de la logique.

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    1. Cher monsieur le directeur de la police de la logique,
      Votre pouvoir exécutif est impressionnant.
      Il s’avère que j’ai dû cumuler deux fois 7 jours de confinement, dans le contexte que vous n’ignorez sans doute pas.
      Officiellement il s’agit de précaution sanitaire… mais je ne doute pas que quelque chose de plus « logique » se cache là-dessous. Je vois clair dans votre jeu (seul le mien m’échappe…).

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